Chapitre 1
Léo sentait le vomi. Ce qui était normal puisqu’il venait de dégueuler allégrement sur le canapé. Un mélange de cacahuètes, de Curly, d’ecstasy et d’alcool. Beaucoup d’alcool. Il n’entendait plus rien alors que le son de la musique techno était à fond. Il faisait noir, il ne savait même plus où il était. Il entrevoyait des ombres qui sautaient, bougeaient, sans reconnaître qui que ce soit. Où était-il ? Comment était-il arrivé ici ? Il n’avait pas la force de réfléchir. Son cerveau était une compote sirupeuse, une marmelade qui ne pouvait rien. La chaleur était écrasante et pourtant il crevait de froid. Il voulait essayer de se lever, mais c’était impossible. Peut-être était-il mort ? Non, quand on est mort, on ne souffre plus. Léo avait mal partout, son corps n’était que crampes, courbatures, spasmes. La souffrance habitait sa chair, son cœur et son âme.
Quelle déchéance ! Cinq ans plus tôt, il avait été la révélation rock de la scène musicale. Son album s’était écoulé à plus d’un million d’exemplaires. Il avait enchaîné les tournées, les festivals, les duos avec des artistes qu’il avait admirés. Il avait atteint son but : partager sa musique, en vivre et entrer dans ce milieu fermé. Il signait des autographes, répondait à des interviews. Il était beau, jeune, riche, le plus doué de sa génération selon Les Inrocks. Comment avait-il sombré dans cet abîme ? Et surtout pourquoi ? Tout lui souriait, alors pourquoi avait-il aussi mal ? Aussi peur ? L’alcool et la came étaient devenus ses pansements, ses moteurs. Ils le détruisaient, ils consumaient son talent et en avaient fait un paria que tout le monde voulait éviter. Ou comment passer du paradis aux enfers en cinq leçons. Léo se sentait partir, de plus en plus. Un choix s’offrit alors à lui : se laisser glisser ou réagir. La pulsion de vie fut la plus forte. Il tâta sa poche de jean pour y trouver son portable. L’écran était flou, il devinait le contour des lettres et des images, mais ses doigts connaissaient par cœur le chemin pour écrire à celle qui avait toujours été là. Il n’avait pas la force de parler alors il envoya un texto : Lapin. Le destinataire comprendrait.
Il était trois heures du matin, mais Philomène avait toujours eu le sommeil léger. Lorsque son portable vibra, elle l’attrapa pour jeter un coup d’œil. À cette heure-ci c’était soit une publicité, soit un problème. Le prénom de Léo s’afficha sur l’écran. Elle n’avait pas eu de nouvelles de son frère depuis plusieurs mois. Elle l’ouvrit et lut le message. Cinq petites lettres : Lapin. C’était leur code de SOS. Lorsqu’ils étaient enfants, ils adoraient regarder le film Le bonheur est dans le pré. Une de leur réplique préférée était celle d’Eddy Mitchell : « Lapin, tu peux compter sur moi » la main sur le cœur, promettant à Michel Serrault de l’aider. Ils avaient décidé que ce serait le signal d’urgence entre eux.
Philomène se glissa le plus silencieusement possible hors du lit. Elle ne voulait pas réveiller son mari Samuel. Elle enroula sa longue natte dans un chignon et fila à la salle de bains s’habiller à la va-vite. Dans quel état allait-elle récupérer son frère ? Sa plus grande crainte était de ne pas arriver à temps. Perdue dans ses pensées, elle fit tomber le pot des brosses à dents. Samuel se réveilla.
— Un problème ma chérie ? Tout va bien ?
Philomène apparut en jogging et une paire de baskets à la main.
— J’ai reçu un message de Léo, je dois aller le chercher.
Samuel poussa un long soupir.
— Ce n’est pas une bonne idée Philo. Il va être dans un état pitoyable, ou dans un lieu dangereux, ou les deux. Appelle les flics et laisse-les gérer.
— Non, je ne peux pas.
— Et comment tu vas savoir où il est ? Il te l’a dit ?
— Non. Mais je peux le géolocaliser.
Elle avait installé l’application en cachette sur le téléphone de Léo la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Elle n’avait plus de nouvelles, mais elle pouvait savoir où il était. Samuel se leva et prit sa femme dans ses bras.
— Philo, pourquoi tu fais ça ? Tu n’es pas obligée.
— Si, j’y suis obligée.
— Mais pourquoi ? Pourquoi ? Je sais que c’est ton frère, mais avec ce qu’il t’a fait vivre et dit ces derniers temps, pourquoi tu veux encore le sauver ?
Philomène se blottit contre son mari. Elle ne pouvait rien dire, rien avouer. Samuel ne le supporterait pas et elle ne voulait pas perdre ses enfants.
— J’ai une dette inestimable envers Léo que je ne pourrai jamais rembourser, quoi que je fasse. Alors je me dois d’être là pour lui, peu importe les raisons ou le passé.
— Mais quelle dette ?
Philomène embrassa Samuel et s’échappa le plus vite qu’elle put. Jamais elle ne pourrait lui dire. Elle devait vivre avec ce secret, le préserver à tout prix. Mais elle savait aussi que c’était ce qui rongeait Léo. Pouvait-elle sacrifier son frère pour ses fautes ? Ce dilemme la hantait depuis trois ans maintenant. Elle n’avait toujours pas la réponse.
Elle monta dans la voiture et programma le GPS. Léo se trouvait dans une maison à plus d’une heure de chez elle. Elle mit sa ceinture et démarra. Heureusement nous étions début juin. Le ciel était clair, les températures douces, cela l’aiderait à conduire elle qui n’aimait pas ça la nuit. Elle avait embarqué des affaires propres, des médicaments, une couverture, au cas où. Avec Léo, il fallait s’attendre à tout, surtout ces derniers temps. Elle arriva sans s’en rendre compte à l’adresse indiquée. Une maison cossue, perdue dans la campagne. Elle sonna au portail, mais personne ne l’entendit. Pas étonnant au vu des décibels qui s’en dégageaient. Elle appuya sur la poignée du portail qui s’ouvrit sans difficulté. Il fallait maintenant trouver Léo.
Des dizaines de personnes couraient, buvaient, chantaient. Certains s’envoyaient en l’air devant tout le monde. Les lignes de cocaïne se dessinaient sur tout ce qui était une table ou pouvait faire office de table. Les boums de la musique tapaient dans tout son corps. Des bouteilles de vodka et de whisky jonchaient le sol, au milieu des paquets de chips, des papiers, des plastiques, des capotes usagées. C’était un infâme dépotoir. Elle commença à appeler Léo, mais sa voix était couverte par le bruit. Elle demandait à chaque personne qu’elle rencontrait si elle avait vu son frère. Mais les gens présents étaient soit défoncés, soit bourrés, soit les deux. Leurs réponses n’avaient ni queue ni tête. Elle entreprit de faire le tour de la maison, et finit par trouver son frère effondré dans un canapé au milieu de son vomi. Elle se précipita vers lui, craignant qu’il soit mort. Elle chercha son pouls, il était irrégulier, mais présent. Elle le secoua et le gifla.
— Léo, tu m’entends ? Réveille-toi !
Léo poussa un borborygme, preuve qu’il était encore de ce monde. Philomène le releva et l’assit. Elle était infirmière. Elle était menue et son mètre soixante-quinze donnait souvent aux gens l’impression d’une personne fragile. Sa grand-mère l’appelait son roseau. Pourtant elle soulevait des patients qui pesaient deux à trois fois son poids. Elle ouvrit une bouteille d’eau qu’elle avait apportée, essaya de faire boire son frère, puis lui lava le visage à grande eau. Léo sembla faire légèrement surface.
— Accroche-toi à moi, on s’en va.
Elle le leva, mit son bras autour de son épaule et entreprit de le ramener à la voiture. Léo était semi-conscient, ses jambes faibles, semblant s’écrouler à chaque pas. Pourtant elle réussit à l’amener jusqu’à sa Clio.
Elle lui enleva son tee-shirt souillé, lui en mit un propre et l’assit à l’arrière de la voiture. Léo semblait n’avoir conscience de rien. Elle s’assit au volant et le contempla dans son rétroviseur. C’était sa faute s’il en était là. Il fallait trouver une solution, l’éloigner, et peut-être tout lui dire. Était-ce vraiment la clé ? Elle ne le savait pas. Mais en attendant, elle savait où l’emmener. Elle appela Samuel pour lui demander de lui préparer des affaires. Elle poserait des congés, il s’occuperait des enfants. Il était temps d’aider son frère. Il était peut-être temps d’ouvrir la boîte de Pandore.
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